L’entreprise libérée : un lieu sans contrôle et sans règle ? 6 septembre 2017
L’entreprise libérée envoie souvent l’image d’un lieu anarchique et sans contrôle. Pourtant, ce n’est pas le cas. Les règles existent bien et l’autorité est bien présente. Les modes de fonctionnement ont simplement évolué et rendent les employés plus heureux.
Le sujet de la libération des entreprises fait couler beaucoup d’encre notamment du fait que les managers ou les leaders délèguent ou assument moins de responsabilités. Ainsi est-il mis en avant que les entreprises libérées finissent par s’essouffler et retomber. En effet, elles peuvent envoyer l’image de lieux où il est difficile de savoir qui décide ou qui peut faire quoi.
Les « premières versions » des entreprises libérées ont connu quelques soucis. Les « secondes versions » ont corrigé ces dysfonctionnements.
Si l’on se base sur les stades d’évolutions des entreprises de Frédéric Laloux dans son livre « Reinventing Organizations* », nous pourrions dire que les premières entreprises libérées étaient de couleur « Verte ». Désormais, nous sommes au stade suivant, les entreprises de couleur « Opale ». Quant aux entreprises traditionnelles, elles sont de couleur orange.
Voici 6 illustrations qui montrent que le contrôle et les règles font bien partie des entreprises libérées de dernière génération. Ces manières de fonctionner existent vraiment. FAVI, Gore, Patagonia, Whole Foods, Holacracy, Sounds True, Morning Star, SOL ou encore Buurtzorg ne sont que quelques exemples de entreprises opales existantes.
1 – L’intégration : Chaque personne recrutée bénéficie d’un accompagnement sérieux.
Je ne voudrais pas tomber dans la caricature ni la généralité mais bon nombre d’entreprises actuelles n’ont pas de procédure d’intégration. Il est fréquent que, lorsque nous arrivons, nous soyons accueillis et faisons rapidement le tour des bureaux et locaux sociaux. Nous serrons quelques mains. On nous présente notre bureau et très vite nous pouvons être amenés à commencer notre travail, si nous avons la chance d’avoir un ordinateur et une boite mails déjà opérationnels.
Certes, beaucoup d’entreprises s’appliquent pour intégrer leurs collaborateurs mais que dire de l’intégration dans les entreprises opales. Premièrement, une annonce bien en amont a été faite pour informer qu’un nouvel employé arrive. Les équipes concernées ont prévu de se présenter et peuvent par exemple porter un badge pour faciliter l’intégration du nouveau collaborateur. Tout le matériel est prêt et surtout, un processus de formation est calé pour prendre en charge le collaborateur. Ces formations sont basées sur les valeurs de l’entreprise (notamment l’autonomie, l’intégrité et la raison d’être) et les relations interpersonnelles. Enfin, le collaborateur passera plusieurs jours avec chaque collègue pour mieux le connaitre et mieux comprendre son travail.
Dès le début de l’aventure, le suivi d’un nouveau collaborateur est en place et les règles sont clairement exprimées.
2 – Gestion de la performance individuelle : des feedbacks réguliers de la part des collègues
Dans les entreprises actuelles, les feedbacks viennent de la hiérarchie, souvent de notre supérieur direct. Malheureusement, ces évaluations sont souvent calquées sur des grilles déjà préétablies. De plus, notre supérieur peut être en difficulté pour nous évaluer. En effet, il ne passe pas le plus clair de son temps avec nous.
Mais alors qui passe le plus de temps avec nous et serait donc plus à-même de nous évaluer ? Nos collègues ! En effet, ils connaissent précisément ce que nous devons faire puisque cela a un lien direct avec leur travail. Ils passent beaucoup de temps avec nous et sont donc plus à même de nous évaluer. Ainsi, les collaborateurs ayant été formés aux relations interpersonnelles comme la communication non violente, sont en capacité de donner du feedback et de dire ce que nous faisons de bien ou de moins bien.
Au lieu que ce soit une seule personne qui nous évalue, désormais plusieurs collègues ont cette tâche jouant le rôle d’autorité et de contrôle mais de manière bien plus naturelle et bienveillante.
3 – Rémunération : transparence et égalité
Le processus de rémunération est lui aussi soumis à la validation du groupe ou des collègues. En effet, tous les salaires sont connus de tous. Il est donc difficile de négocier secrètement avec son chef. Chacun peut donc juger de la rémunération des autres en fonction de leur travail. Une personne emblématique et reconnu de tous pour la quantité et la qualité de son travail pourra légitimement prétendre devant ses collègues à un salaire plus important ou une augmentation plus forte. À l’inverse, si nos résultats ne correspondent pas aux attentes de nos collègues, il nous sera très difficile de demander une augmentation ou à un salaire plus élevé.
Ici, le groupe fait autorité sur la rémunération et intervient pour corriger les écarts.
4 – Prise de décision : processus de sollicitation d’avis
Les entreprises vertes ont pu se retrouver dans des situations où personne ne savait qui devait prendre la décision. Certaines fois, l’immobilisme se mettait donc en place. L’inverse pouvait être aussi vrai. Tout le monde souhaitait prendre la décision mais finalement c’est le chef qui avait le dernier mot.
L’entreprise opale a trouvé la solution à ce problème de manière très efficace. La méthode de la sollicitation d’avis consiste à consulter toutes les personnes concernées par la décision.
Ainsi, chacun est libre de prendre la décision qu’il souhaite mais doit consulter toutes les personnes qui seront concernées par cette décision (même le PDG).
Imaginons le poids de ce processus. Nous souhaitons prendre une décision sur un sujet. Nous consultons les personnes concernées et comprenons que tout le monde est contre ce projet. Nous aurons donc tendance à ne pas poursuivre.
Dans d’autres situations, nous pourrions avoir des collègues en accord mais qui nous alerteraient à travers des points de vigilance. Non seulement ce mode de prise de décision nous empêche de nous engager sur de mauvais choix mais en plus, si nous décidons de poursuivre le projet, il nous permet d’être vigilant sur des points que nous n’aurions pas imaginés.
5 – Gestion des conflits : existence de processus structurés de résolution de conflits
La vraie révolution des entreprises opales est de ne plus fermer les yeux sur les conflits. Au mieux, dans les entreprises traditionnelles, le chef intervient et essaie de mettre tout le monde d’accord ou tranche si besoin. Au pire, les conflits sont passés sous silence dans l’espoir que les choses se règlent toutes seules.
Les entreprises opales ont trouvé des solutions pour gérer les conflits. Nous pourrions regrouper ces solutions sous 3 grandes méthodes :
– Pour anticiper les conflits, elles prévoient des réunions régulières où chacun sait qu’il pourra s’exprimer en toute bienveillance et résoudre les conflits.
– En cas de conflit ouvert, une procédure de plusieurs rencontres entre les personnes en conflit et les personnes concernées est mise en place
– Pour améliorer les relations, elles forment les gens aux relations interpersonnelles comme le protocole de Communication Non Violente.
Vous pourrez retrouver tous les détails sur mon article « Trois méthodes efficaces pour gérer les conflits ».
Dans cet exemple, nous voyons bien qu’il y a un vrai processus de gestion des conflits. Libérer n’est donc pas incompatible avec la mise en place de nouvelles règles à partir du moment où cela est justifié.
6 – Libre circulation de l’information : distribution du pouvoir à chacun
L’information est souvent conservée par un petit nombre car il est certain qu’elle donne du pouvoir. Si nous en savons plus que nos collègues, nous pourrons certainement mieux nous en tirer pour prendre les bonnes décisions. Si nous sommes plus à-même de prendre des décisions, nous avons donc plus de pouvoir sur notre environnement. Nous sommes aussi plus en capacité de contrôler ce qui se passe et ce qui nous entoure.
Dans les entreprises libérée, l’information est donnée à tout le monde. La transparence est de mise. Ainsi, le pouvoir est donné à tout le monde et chacun est donc en mesure de contrôler son travail et celui des autres. Encore une fois, tout ceci se fait de manière bienveillante.
Les employés sont certaines fois tellement informés, qu’ils sont en mesure d’évaluer la qualité du travail de leur PDG. Ainsi, Jean-Francois Zobrist, ex-PDG de l’entreprise française FAVI, demandait régulièrement à tous les employés de son entreprise s’ils lui maintenaient leur confiance. Le PDG devait en quelque sorte rendre des comptes et s’assurer de sa crédibilité.
Nous venons de voir que la présence de règles et de procédures fait bien partie de l’organisation des entreprises opales. La vraie différence est que le pouvoir n’est plus détenu par la hiérarchie mais par les employés eux-mêmes. Il a donc fallu revoir, créer et supprimer certaines méthodes de travail même s’il est vrai que de manière générale, il y a eu une simplification des procédures et un retour du bon sens. L’autorité a été déplacée de la hiérarchie vers les employés mais elle existe toujours.
Cependant, tout n’est pas fini. Ces entreprises continuent d’évoluer sur des questions comme « Jusqu’où peut-on aplatir les organisations ? » ou encore « Quels sont les nouveaux rôles de managers ? ».
Julien Godefroy – https://reussir-son-management.com
* Livres de référence :
« Reinventing Organizations » de Frédéric Laloux
« Liberté & Cie » de Brian M. Carney et Isaac Getz