L’incorrigible optimiste   3 avril 2012

Interview de Xavier Fontanet, président d’Essilor, par « Le Nouvel Économiste »

Quand le chemin de la croissance s’appelle la confiance

“J’ai un gros défaut : je suis viscéralement optimiste.” Est-ce par inconscience délibérée ou par naïveté feinte, Xavier Fontanet, président d’Essilor, n’hésite pas à afficher la mine réjouie du grand-patron-d’une-société-du CAC 40-en-pleine-réussite au moment où la France et les Français semblent, eux, sombrer définitivement dans la sinistrose. A lui seul, cet enthousiasme à contre-courant si communicatif aurait justifié que Le nouvel Economiste décerne à Xavier Fontanet son titre de Manager de l’année 2011.

Surtout quand il couronne le parcours exemplaire d’une vingtaine d’années passées à la tête d’une entreprise qu’il a hissée au premier rang de l’optique ophtalmique mondiale. Essilor, c’est aujourd’hui près de 40 000 salariés dans le monde, 3,8 milliards de chiffre d’affaires, 11 milliards de capitalisation, une implantation industrielle dans plus de cinquante pays, un million de verres servis chaque jour auprès de 300 000 opticiens clients…

Mais aussi impressionnants que soient ces chiffres – à l’échelle de notre temps, celui de la mondialisation – l’essentiel est ailleurs : il est dans la philosophie qui sous-tend cette croissance et qui tient selon Xavier Fontanet en un mot et un seul : la confiance !

“Les grandes entreprises comme Essilor sont des vaisseaux extraordinaires. A l’intérieur, tout y est trépidant et l’ambiance est bonne”, lance celui qui à 63 ans va passer les rênes de la société au début de l’année prochaine à Hubert Sagnières. Tenu par d’autres “patrons”, un tel discours laisserait volontiers dubitatif, mais pas celui de Xavier Fontanet qui tire sa force dans des convictions humanistes solidement ancrées.

“On a cherché à faire croire, à tort, que pour être efficace il faut être brutal et que le gentil en affaires est celui qui se fait avoir. Ma vision est exactement à l’inverse : il faut toujours avoir la capacité de se mettre à la place de l’autre car par quelque bout que l’on prenne un problème, on aura toujours besoin de lui.” Une attention majeure aux autres donc, directement tirée, on peut le supposer, de sa formation dans un collège jésuite. Mais avec quelles implications pour un manager ? “La contribution du manager pour créer une bonne ambiance est de mettre en œuvre la bonne stratégie. A partir du moment où tout un chacun sait dans l’entreprise dans quelle direction va la société, l’organisation se met à bouger positivement et les salariés donnent toute leur énergie”, explique-t-il.

L’esprit de conquête

Une telle vision paraîtra inévitablement irénique et déconnectée de la réalité à tous ceux qui assimilent l’économie à la loi de la jungle. Xavier Fontanet ne méconnaît pas les règles du jeu, il les transforme à son avantage. “La stratégie, c’est l’art d’évoluer à l’aise dans un système concurrentiel. C’est ce que j’ai appris d’essentiel lors de mon passage au Boston Consulting Group. Cette vision m’a permis d’avoir toujours tout au long de ma carrière un coup d’avance”, analyse-t-il.

Cet esprit conquérant, il l’a mis en pratique par une politique d’acquisition à marche forcée (sur un rythme d’une acquisition tous les quinze jours) et de joint-ventures audacieuses (avec les plus grands comme Nikon au Japon), par une surveillance de tous les instants des marchés et des concurrents et le développement d’une gamme de verres à 7 niveaux “de la Porsche à la Logan”.

“Une stratégie d’entreprise, c’est littéralement une aventure. Aller à la conquête de l’Amérique, du Brésil, de la Corée, de la Chine et de l’Inde, cela a été fabuleux. La notion de marché local n’existe plus, désormais, la dimension est nécessairement mondiale.”

“Mais dès qu’une société devient leader sur son marché, elle est inévitablement placée dans la ligne de mire de ses suiveurs. Les concurrents fourbissent leurs armes contre elle, ce qui l’oblige à se maintenir en forme et à faire attention à tout ce qui bouge. Règle de conduite absolue : bannir toute forme d’arrogance. Plus vos parts de marché augmentent, plus vous devez être humble”, insiste l’entrepreneur fort de son expérience de vingt ans à la tête du groupe. Ni fausse modestie, ni sentiment de supériorité : Xavier Fontanet compose, on le voit, un personnage aux antipodes de ces clichés qui ont cours en France sur ces “salauds de patrons”. “Je ne connais pas d’entreprises qui font durablement du profit sur le dos de leurs salariés. De toutes les façons, en dernier ressort, le vrai patron, c’est toujours le consommateur.”

Faire plus avec moins

Fort de ses résultats, Xavier Fontanet enrage de voir l’état du pays et développe franchement son credo libéral. “L’image d’un libéralisme “pur et dur” a été construite pour fausser le jugement. On devient nécessairement libéral avec l’expérience de la nature humaine et des responsabilités. L’esprit d’entreprise, c’est la volonté humaine qui travaille dans le réel. Hélas, le Français est tellement pour l’égalité qu’il est prêt à sacrifier sa liberté pour elle”, juge -t-il sévèrement.

Et il poursuit : “La sphère publique est devenue bien trop lourde en France. Elle est censée nous protéger or en réalité elle nous plombe. L’Etat-providence est une fiction qui fait croire que l’on peut vivre avec de l’argent venu du ciel. Or il n’y a pas de miracle car l’argent vient de la poche de chacun d’entre nous. Il faudrait revenir à cette situation du début des années 70 sous Pompidou. A l’époque, l’Etat n’était quasiment pas endetté et les prélèvements obligatoires n’excédaient pas les 30 %. Or l’économie était florissante. Aujourd’hui l’excès d’imposition tue la motivation et le pire est que nous continuons à rajouter des taxes !”, reprend le grand patron sans concession dans l’analyse.

Le plan d’action ? “Il faudrait réduire d’au moins 20 % les frais généraux de la Nation. Tout chef d’entreprise sait que c’est possible de faire de telles économies. La concurrence nous oblige en permanence de faire plus avec moins, plaide-t-il. Les chefs d’entreprise sont, j’en suis convaincu, les plus à même de sortir l’économie de la crise. Il faut pour cela leur faire confiance.” C’est le message que Xavier Fontanet développe dans un essai convaincant publié en 2010 et qui en est à son quatrième tirage, signe de l’écho favorable qu’il rencontre.

“Hélas, on ne cesse pas en France de diaboliser les grands patrons. Les entreprises françaises font pourtant de très grandes choses dans le monde, les étrangers sont admiratifs de ces réussites tricolores.” Un message reçu cinq sur cinq en… Chine où son livre va sortir en mandarin.

(*) Xavier Fontanet : Si on faisait confiance aux entrepreneurs. L’entreprise française et la mondialisation (éd. Manitoba/Les Belles Lettres).

Par Philippe Plassart

http://www.lenouveleconomiste.fr/manager-de-lannee-xavier-fontanet-lincorrigible-optimiste-13070/

Cette entrée a été publiée le mardi 3 avril2012 à 14 h 52 min, et rangée dans Management. Vous pouvez suivre les réponses à cette entrée via son flux RSS 2.0.Vous pouvez laisser un commentaire, ou faire un rétrolien depuis votre site.
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